L’exploitation rationnelle des abeilles MAURICE MATHIS -1972

réf. coop AP001 (1972)

INTRODUCTION

Ce petit livre n'est pas un traité d'apiculture. II en existe d'excellents, il suffit donc de s'y reporter. Dans Le peuple des abeilles nous envisagions quel que uns des problèmes biologiques soulevés par cette société d'insectes sans les considérer sous l'angle utilitaire. Nous avons essayé de montrer que, dans le monde animal, l'abeille avait une place prépondérante par la complexité de son comportement, et à une interférence continuelle de multiples réflexes

Si nous considérons l'ensemble des ouvrages qui traitent des abeilles, nous ferons remarquer que tous se sont préoccupés de la partie économique Réaumur auquel nous devons tant de découvertes est le premier qui ait vu l'importance pratique des abeilles. Notre intérêt nous porte à souhaiter la multiplication de ces mouches et à y contribuer autant qu'il est en nous. Selurach expose longuement sa méthode de la multiplication des ruches par l'essaimage artificiel pratiqué depuis la plus haute antiquité, sans une connaissance exacte du sexe même de la reine-abeille. François Huber expose dans sa treizième lettre à Charles Bonnet des Vues économiques sur les abeilles. Il montre les avantages réels que les paysans pourraient tirer en utilisant sa ruche à feuillets. Stanislas Beaunier écrit un Traité pratique sur l'éducation des abeilles, ou virage qui renferme des moyens surs pour retirer un grand produit de ces mouches sans les faire pêrır: pour les soigner dans toutes les circonstances qui dépendent des localités et des années plus ou moins favorables, pour former très facilement des essaims artificiels, pour préparer le miel et la cire, etc. Lombard qui demeurait pendant la belle saison au Terme près et hors la Barrière du Roule recevait les visiteurs à son rucher en 1812. Il publia le Manuel des propriétaires d'abeilles. Langstroth et Dadant dans La ruche et l'abeille exposent les principes d'une apiculture moderne, basée sur l'utilisation du cadre mobile. Une multitude de petites revues agricoles ne cessent de déverser des torrents de conseils sur les avantages de tel ou tel procédé, sur l'utilisation du sac de chanvre on des planchettes, sur les formes et les capacités de la ruche, etc. Réaumur se moque dans ses Mémoires d'un gentilhomme campagnard, ancien officier d'artillerie qui avait imaginé de placer sur le toit de ses ruches des petits canons en bronze. Bref de tous ces petits articles se dégage une impression de confusion. Il ne semble pas que les observateurs modernes aient tenu compte de l'âge et de l'état physiologique de leurs colonies. Une ruche naît, atteint son adolescence, sa maturité et meurt Une colonie d'abeilles n'est pas éternelle. On cite des exemples de ruches ayant subsisté vingt-cinq ans. Certes, on peut avoir des chevaux du même âge, mais on se garde bien de les faire courir en compétition avec des poulains de 3 à 4 ans. Dans Le peuple des abeilles nous avons essayé de montrer l'intérêt biologique de ces insectes, dans cet ouvrage, nous exposerons les principes de leur exploitation. Tous les livres d'apiculture donnent certes des conseils excellents, malheureusement ils se contredisent souvent, et toutes les données s'effondrent de cette contradiction même.

L'importance économique des abeilles mérite d'être soulignée d'une façon très particulière. Il ne faut pas oublier que pendant des siècles l'espèce humaine a trouvé dans le miel accumulé par ces Hymenoptères sa ration quotidienne de sucre. Les Indiens Guayakis de l'Amérique du Sud n'ont jamais dépassé ce stade d'une Civilisation du miel.

Le nombre de fleurs qui remplissent la campagne est immense et il ne devrait pas y avoir un jardin de paysan qui n'eût ses ruches, écrit Réaumur en 1740.

Comment se présente le problème économique du miel? Quelles sont les possibilités de notre sol en France, véritable Jardin de l'Occident? Faisons le petit calcul suivant supposons que 3 millions de familles exploitent seulement 5 ruches en moyenne sur l'ensemble de notre pays, nous avons 15 millions de colonies. Que chacune rapporte seulement 30 kg de miel et 1 kg de cire, nous obtenons le chiffre énorme de 450 millions de kilogrammes de miel et 15 millions de kilogrammes de cire. Aux prix actuels (fixés par décret) de 30 F le kilogramme de miel et de 90 F le kilogramme de cire - prix qui d'ailleurs baisseraient proportionnellement à l'abondance de l'offre nous aurions une production annuelle représentant quelque 15 milliards de francs. Et n'oublions pas qu'une production de 30 kg par ruche n'est que le sixième de ce qu'obtiennent les apiculteurs américains!

L'importance économique des abeilles est donc considérable, et pour citer encore Réaumur Elles sont de ceux dont la multiplication doit paraître un objet important dans tout gouvernement policé Quoique le miel dont elles font chaque année de grandes récoltes, ait beaucoup perdu de l'estime, qu'il était dans des temps où le sucre, aujourd'hui si commun, était peu connu, ce miel nous est cependant encore très utile... On épargnerait chaque année des sommes considérables au royaume, si on était plus obligé de tirer de la cire des pays étrangers le gouvernement si attentif aujourd'hui au bien public pourrait tirer les gens de la campagne de l'indolence où ils sont sur cet article, en leur donnant des assurances que non seulement leur taille ne serait point augmentée à cause des pro- duits qui leur pourraient venir des abeilles, mais en accordant même chaque année une petite diminution de taxe à celui qui aurait un certain nombre de ruches.

On se rend compte de l'importance nationale de ces petites mouches industrieuses qui inlassable- ment travaillent dès le retour des beaux jours. Si d'autre part, on veut bien considérer que les soins à donner aux abeilles ne sont pas aussi assujettis sans que ceux que l'en donne au moindre élevage, les abeilles butinant sur des plantes que nous n'avons même pas eu la peine de semer, qu'elles sont retenues à l'intérieur de la ruche de la fin novembre au début mars, on peut juger de l'intérêt que nous avons à souhaiter la multiplication de ces mouches et à y contribuer autant qu'il est en nous. Considérons maintenant le cas d'un homme soigneux vivant à la campagne sur un petit lopin de terre et entretenant 10 ruches. A raison de 100 kg de miel par ruche (au lieu de 190) il sera assuré d'un revenu d'une vingtaine de mille francs par an ce qui n'est pas à dédaigner et mérite quelque attention L'exploitation rationnelle des abeilles s'adresse à l'initiative privée dans le cadre familial, en tenant compte des occupations harassantes de la campagne. Toutes les données ont été simplifiées à l'extrême. Elles guideront le débutant d'une manière sûre à un résultat certain pourvu qu'il prête quelque attention à la biologie des abeilles.